J’étais très impressionné !…

J’y rencontrai des illustrateurs ayant le sens de la couleur et du dessin illustratif (probablement Pierre Belvès et André Pec NDLR). J’y rencontrai aussi Madame Faucher (Lida) qui, avec son expérience de mère de famille et de psychologue, complétait l’équipe réalisatrice des fameux albums.

Je fus tout de suite intégré à cette équipe et je me souviens que dans le souci du détail, on répétait les danses ou rondes préconisées par l’auteur (Dix danses par Jean-Michel Guilcher ndlr), car il ne fallait pas décevoir et rebuter le jeune lecteur mais le respecter en lui donnant du beau, du possible.

Après que nous ayons mis au point la lecture, les chants les mimes ou les danses, Monsieur Faucher repartait pour Paris, affronter les difficultés de fabrication soumises à la réglementation des restrictions des matières premières.

Dernières Nouvelles ( Suite 1 )

Un Conte : La Dame au lac

Pour ceux qui aiment les contes et les récits, voici l’une des histoires dites par Hélène Vermeulin, lors de la veillée du Père Castor.

 

Dans des temps très anciens, au pays des lacs, des étangs et des sources vivait une femme veuve avec son fils unique. Le pays était beau mais les terres guère fertiles. Ils possédaient quelques vaches et le jeune homme allait les faire paître près d’un lac. Ce lac était très isolé, les prairies verdoyantes, les bords du lac escarpés et le jeune homme surveillait son troupeau de peur qu’une vache ne glisse, on disait que les eaux du lac étaient si profondes qu’on ne pouvait en atteindre le fond.

Un matin le jeune homme était assis sur son rocher habituel et tout d’un coup, il sursaute, il n’en croit pas ses yeux, il aperçoit au milieu du lac une jeune femme qui peigne ses longs cheveux blonds et se mire dans l’eau calme. Jamais il n’avait vu de femme aussi belle et ces cheveux ses longs et dorés ! Lui qui ne connaissait que des chevelures à peine apparentes, serrées sous des coiffes. Il s’approche du rivage et, comme pour une offrande à une divinité, il tend à l’inconnue le pain de seigle et le fromage qu’il a apporté pour son repas. La dame du lac lui sourit et esquisse un geste de refus, il s’avance dans l’eau, mais elle lui dit avec un petit sourire : “Trop dur et trop cuit ton pain” et elle s’enfonce dans le lac.

 

Le jeune homme reste là longtemps, longtemps à regarder l’eau du lac puis rentre le soir triste, désemparé, rêveur. Il ne raconte rien à mère et ne parle pas de tout le soir.

Le lendemain il retourne avec son petit troupeau au bord du lac, il attend, il attend..., en oublie de surveiller ses vaches, une va glisser, il se précipite, au même moment la jeune femme apparaît à la surface des eaux. Il lui tend son pain et son fromage : “ Prends ceci, je t’en prie, en témoignage de mon amour pour toi, si tu veux de moi je serai à ton service toute ma vie ”. elle le regarde en souriant : “ Mal cuit et mal levé ton pain ”, et disparaît sous les eaux.

Ce soir-là il raconte à sa mère tout ce qui s’est passé. “Écoute, demain il faudra lui apporter un pain ni trop cuit, ni pas assez et qui soit bien levé”.

Le lendemain le jeune homme repart plein d’espoir, le cœur troublé. Il attend jusqu’à la tombée de la nuit, il est désespéré, mais stupéfait il aperçoit plusieurs vaches qui marchent à la surface du lac, puis la jeune femme apparaît avec sa belle chevelure que les rayons du soleil couchant éclairent. Il tend son pain et son fromage : “Bien cuit et bien levé ton pain. Je serai à toi si tu le veux. Je serai ton épouse, mais à une condition : je t’abandonnerai sans recours si tu me frappes trois fois”. “Oh comment pourrais-je jamais te frapper ! ”

“Souviens-toi seulement de cette condition”. La joie inonde le cœur du jeune homme, mais, à son grand désarroi, la dame du lac disparaît, puis elle réapparaît après un long moment avec un vieillard à l’allure noble, d’une stature impressionnante et une jeune fille qui lui ressemble beaucoup ; “Voici mes deux filles jeune homme, peux-tu reconnaître sans te tromper celle que tu aimes ?”.

Le pauvre berger a tellement peur de se tromper, de laisser échapper son bonheur qu’il en est comme paralysé ; mais une des jeunes femmes bouge doucement le bout de son pied, elle lui fait signe, il la désigne, le vieil homme accepte le mariage, donne aux jeunes époux un immense troupeau de belles vaches brunes aux longues cornes.

“ Mais tu connais la condition, tu perdras ton épouse et tous tes troupeaux si tu la frappes trois fois ”.

Le jeune berger ramène à sa petite ferme et à sa mère tout heureuse la belle femme et ses troupeaux. Ils s’installent dans une grande ferme, ils ont trois fils, de beaux enfants, et vivent dans le bonheur et dans l’abondance.

Ils sont très estimés dans le voisinage et invités à toutes les fêtes. Un jour ils sont invités à un baptême suivi d’un festin, mais lui, assez échauffé par la boisson, le bruit, veut partir, et pour presser sa femme la frappe à l’épaule : “Alors tu viens ! ”.

“Souviens-toi que tu ne dois pas me frapper trois fois. Sois prudent désormais, méfie-toi de tout geste inconsidéré. Je n’y peux rien moi-même, c’est la loi de mon peuple”.

Son mari est désolé, il regrette, il promet. Le temps passe. Ils sont invités à un grand mariage. Tous les invités rient, plaisantent, font grand bruit mais elle, la belle jeune femme, éclate en sanglots. Son mari s’approche d’elle, il la frappe à l’épaule “Qu’as-tu à pleurer alors que tout le monde s’amuse ; Arrête !  

“ C’est la deuxième fois que tu me frappes. Souviens-toi, encore une fois et je t’abandonnerai. Je vais te dire pourquoi je pleure. Je pense à ces jeunes mariés si heureux et qui ne savent pas combien le bonheur est fragile ”.

Le mari de la dame du Lac est tout honteux, il promet, promet, il aime tant sa dame, il est si heureux avec elle.

Le temps passe, et les fils grandissent, beaux, intelligents. Un jour leurs parents se rendent à un enterrement. Au milieu de la tristesse, générale la dame du lac s’est mise à rire.

Son mari, confus et vexé, la frappe rudement sur l’épaule “ Tu n’as pas honte. Pourquoi ris-tu ?”.

“Je ris, lui répond-elle, parce que les morts sont heureux, ils ne connaissent plus ni épreuves, ni souffrances. Mais tu viens de me donner un troisième coup. Je ne peux plus rester avec toi au milieu des humains ”.

(C’était en 1943, j’étais alors bûcheron, non pas en vue de la pâte à papier mais pour une usine de produits chimiques qui transformait ces beaux arbres en carburant synthétique rendant de grands services dans la région.)

Dans les " Albums du Père Castor ", l’idée forte était le respect du lecteur en lui apportant du beau, de l’inédit, du bien pensé, de la qualité.

Ce qui pourrait paraître aujourd’hui " un détail " avait son importance et c’est souvent l’acquis de ce détail qui m’a accompagné dans ma vie professionnelle.

François Faucher m’a demandé ces quelques lignes, je suis content de pouvoir dire tout cela, remercier et rendre hommage à son Père Castor.

Merci Monsieur Faucher.

François Villoin-Labbé